Une variante en forme de rebondissement

Monique Thomassettie,

Saviez-vous qu’en cas d’explosion nucléaire dans la stratosphère au-dessus d’un pays, les vents éloigneraient la radioactivité, mais l’ensemble des circuits électromagnétiques seraient tués ? C’est-à-dire, entre autres choses, que tout matériel informatique serait inutilisable.

David Le Marrec, « Carnet sur sol » en ligne

Le Traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967 interdit de mettre en orbite des armes de destruction massive et de placer de telles armes sur la Lune ou tout autre corps céleste.

Vaincu par plus subtil, Ogrodoi (1) se replia et réfléchit au moyen de retrouver sa tyrannie.

Il se documenta, consulta toutes sortes d’études, jusqu’au jour où il apprit que le nucléaire pourrait l’aider.

Non pas en ravageant les pays libres par une explosion : d’une part, ils étaient trop nombreux ; d’autre part, Ogrodoi avait besoin de leurs produits exportés.

Mais en visant, au-dessus d’eux, la stratosphère.

Là se situait, en effet, le moyen de neutraliser les virtuels indignés dont le nombre croissant devenait une menace définitive à son retour.

Interdire, en les détruisant, tous les blogs et les sites animés d’une liberté d’expression incompatible avec son idéologie.

Toutefois, il trouvait cette liberté intéressante quand des haines arrivaient à se mettre en ligne.

Il fulminait, dès lors, contre ceux qui voulaient les censurer au nom de droits humains.

Peu me chaut l’égalité ! maugréait-il. Comme peu me chaut l’interdiction de faire des essais extra-atmosphériques.

Inspiré par des films plus d’horreur que fantastiques, il avait séquestré un savant : le génial chercheur et trouveur Cygne.

En vérité, le chercheur était une chercheuse, mais Madame Cygne n’avait pas la grammaire féministe.

Bref, elle était aussi brève que ses formules.

L’explosion atomique serait-elle différente si, au lieu d’un atome, on disait : une atome ?

Pas le temps de creuser cette question, j’ai d’autres comètes à fouetter ! aurait-elle pu répondre.

Cygne avait deux assistants : Redout et Able.

En anglais comme en français, l’association des deux noms impressionnait : Redout-Able.

Peu avant l’enlèvement par Ogrodoi de la savante, celle-ci venait de mettre le point final et minutieux aux plans d’un nouvel engin spatial capable à la fois de traverser la frontière entre atmosphère et stratosphère et de rebondir contre elle après l’avoir traversée.

L’intuition de Cygne voyait dans ce rebondissement des potentialités qui se manifesteraient en leur temps. Elle ne forçait jamais son esprit, sachant par expérience que le rêve apporte éclaircissement, voire solution.

En l’occurrence, toutefois, ce n’est pas la nuit qui lui inspira ce rebondissement contre la zone arrondie et intermédiaire dont la Terre est le centre, mais le jour.

Une après-midi, dans un parc, elle dépassait des adolescents jouant au football, lorsque le ballon leur échappa, et roula jusqu’aux pieds d’un enfant qui rêvassait non loin, une petite balle à la main.

Il la bloqua entre ses souliers, puis s’amusa à faire rebondir sa balle menue sur le dur caoutchouc.

Avec tant d’enthousiasme que les aînés lui laissèrent un moment leur ballon, sous l’œil bienveillant de sa mère assise à l’ombre d’un hêtre.

L’image toucha le cerveau poétique de la chercheuse.

Les techniciens Redout-Able étaient qualifiés pour construire l’engin.

Bien sûr, l’engin spatial n’aurait rien de radioactif !

Son activité entièrement destinée au mieux-être de l’univers et de notre planète.

Mais, entre les mains du tyran, il pourrait devenir un jouet dangereux.

C’est évidemment la divulgation du projet tropopausien (2) de la savante, qui lui donna l’idée de la séquestrer.

Elle seule pouvant faire construire l’engin.

Traverser cette frontièro-sphère n’avait certes rien de nouveau.

L’extraordinaire résidait dans le rebondissement.

L’idée imagée de rebondir interpellait Ogrodoi.

Sans doute esquissait-elle pour lui une solution à son écroulement.

L’engin serait construit et en plus radioactivement chargé par ses techniciens à lui.

Finaude, elle lui suggéra de faire venir les siens, Redout et Able. Ils sont hautement qualifiés, argumenta-t-elle. Pour mettre les vôtres au courant, il me faudrait des années.

Or, Ogrodoi était pressé.

Son impatience sera ma meilleure alliée ! songea Cygne.

En attendant l’arrivée forcée des Redout-Able, elle essaya de lui expliquer combien la destruction des moyens informatiques aurait une conséquence catastrophique pour son économie…

Il la coupa net : Peu me chaut finalement l’importation ! Nous nous débrouillerons !

Elle se retira dans sa chambre afin, prétexta-t-elle, de réfléchir à la proche construction de l’engin spatial.

En fait, elle commençait à éprouver de l’exaspération ; or, il lui fallait rester calme.

Elle sombra dans un demi-sommeil et entrevit en rêve un cercle géant sur le pourtour duquel sautillait le tyran.

Cygne comprenait clairement qu’il voulait être non seulement le maître du monde, mais le maître de ce qui l’entoure : l’atmosphère, la stratosphère, et au-delà !

Elle savait désormais sa vulnérabilité.

Il l’avait donc arrachée à son centre de recherches, situé au sommet de son authentiquement originel mont Eladèd.

La nuit, ce centre sphérique prenait une brillance veloutée, de sorte qu’on l’avait baptisé : La perle de l’espace !

Voici ma perle devenue boule de cristal, pensa-t-elle en se réveillant.

Moi qui n’ai jamais pratiqué la séduction, il me faudra le séduire, mais avec lui-même.

C’est-à-dire feindre l’admiration !

Mais lui, n’était-il pas en train d’admirer peu à peu sa prisonnière ?

Car il lui dit : Vous n’êtes pas tout à fait une beauté, de ces miss qui remportent prix et médailles et montent sur les podiums, mais vous avez quelque chose d’envoûtant…

Ce quelque chose, qu’il ne pouvait définir, était son intuition.

Elle le sentit vulnérable autrement, au point que son cœur fut touché.

Un gosse ! Évidemment !

Alors, elle entreprit de lui dire des contes. Elle ne les inventait pas, étant moins artiste que scientifique, mais elle amalgamait et arrangeait différentes histoires, des Frères Grimm aux Mille et Une Nuits, en passant par celles d’autres pays. Il en frémissait d’impatience… Et après, et après, et après ? Il ne la laissait plus dormir !

Épuisée, elle ouvrit l’ordinateur, et chercha les célèbres et éprouvés contes. Ils étaient dits par des voix plus expérimentées que la sienne, de sorte que l’engouement de l’homme se porta sur elles, et sur Internet par conséquent.

Cygne n’eut pas besoin de lui expliquer ce qu’il perdrait en détruisant le génie informatique.

Quand Redout et Able arrivèrent, ils le découvrirent effondré. Il venait de confier à la femme :

Je n’ai pas connu ma mère…

 

1 Présents dans le même conte.

2 La tropopause est la frontière entre la troposphère et la stratosphère, la troposphère étant l’atmosphère terrestre (8 à 15 km d’altitude) – Lu sur Internet.

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