Un tour de gazette

Philippe Jones,

Les bicyclettes ou les vélos ont évolué depuis leur enfance : plus légers, plus rapides, changements de vitesse et dérailleurs s’accordent à l’effort. Des cadres profilés, des secrets de fabrication quant au métal, de la selle au guidon, de la roue aux pédales, chaque élément est objet d’attention, de mise au point. Tout est sur mesure pour affronter le terrain et l’adversaire, pour gagner en force et en souplesse une épreuve. Bientôt le grand périple en France et déjà celui d’Italie, la chaleur saisit les tendons et les muscles. Les paysages défilent, les étapes se succèdent.

Au matin, le journal attend son lecteur. En première page, deux titres frappent. Une interrogation : « Libérable pour bonne conduite ? » et une affirmation : « Cyclisme. Weylandt se tue au Giro ».

À mi-parcours de sa condamnation pour complicité dans une atroce affaire d’enlèvement de mineures, de viols et de meurtres, l’affaire Dutroux, celle qui fut sa femme est sur le point de profiter d’une libération conditionnelle octroyée pour bonne conduite en prison ! Elle a donc bien observé les règles qui lui furent imposées pendant ses années d’incarcération, tout comme elle avait bien suivi les instructions criminelles de son mari. L’obéissance se nomme-t-elle bonne conduite ou propension à se plier à la loi du plus fort ? Comment discriminer le positif du négatif ? N’y a-t-il pas une même attitude dans l’un et l’autre comportements ? Un asservissement, une absence de personnalité ? Entre obéissance et révolte, place à un mélange de raison et d’instinct !

La diversité habite par contre la bicyclette. Une montée ou une descente ont chacune leur spécificité. Un sprint se gagne à l’instant de son urgence. La cadence d’un contre-la-montre se calcule et s’étudie. La mort, elle aussi, peut trouver sa cause dans l’inattention ou le hasard. Roulait-il trop vite, a-t-il mal pris son tournant, est-ce un défaut de la route qui provoque la chute, ou un excès d’assurance ?

Le parcours du journal accumule des étapes imprévues, sans liens apparents, à l’image du souvenir qui joue à saute-mouton, confrontant une scène révolutionnaire à la binette d’un politicien au sourire avantageux.

Les renseignements météorologiques prévoient de forts coups de vent au cours de la matinée, suivis de pluie. Les routes deviendront glissantes, peut-être faudra-t-il contrôler la pression des pneus. Les averses vont brouiller le regard. Les modifications climatiques sont néfastes pour le moral, elles touchent non seulement le psychisme, mais affectent aussi les articulations.

Les colonnes de la nécrologie annoncent le décès d’un lointain cousin, perdu de vue, mais dont la mémoire ressuscite quelques images sans en préciser les lieux, et le vague demeure. Le personnel se glisse dans l’information, le vécu trouve une place dans l’anonyme.

La mort du coureur a jeté un froid sur la fébrilité du Giro. Chacun pense au copain, à la chute que chacun aurait pu connaître et l’équipe renonce à poursuivre l’épreuve dans un respect auquel s’ajoute, peut-être, une certaine appréhension. Ce que l’on appelle encore le sport bascule dans la performance, voire la violence, les accidents et les blessures.

Le journal évoque enfin une proposition, quelque peu indécente, qui aurait été faite à la belle-sœur du prince William, celle d’être l’héroïne d’un film X, tant elle a éveillé l’attention des spectateurs du mariage royal. Fausse nouvelle, scandale de l’instant, suite au prochain numéro ? Signe du temps, sans nul doute. La fille est certes jolie et désirable, mais on peut lui préférer la mariée au visage plus fermement dessiné. Du sexe guilleret en dernière page, même un journal dit d’opinion ne peut y échapper.

Le temps se modifie, la pluie est là. Les descentes sont prises au sérieux, attentivement maîtrisées. Les paysages défilent, les muscles obéissent au rythme que le trajet impose, le vent se place, le temps déplace, tous les coureurs se plient aux nouvelles du jour.

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