Il faisait sombre à l’intérieur du miroir
qui s’y aventurait avec sa lampe traquait les taches d’obscurité
et balayait les traces de semelles de ceux qui se rendaient d’un mur à l’autre
S’asseoir dans un angle
lui permettait de guetter les passants indélicats suivis de leur ombre
Ils dissimulaient derrière leur dos des objets pris sur la cheminée :
épingle à cheveux
photo de mariés
fer à cheval
bouquet de fleurs séchées
larcin fastidieux dont ils évaluaient la teneur en regrets
les fleurs n’avaient pas retenu le nom du jardin
le fer à cheval avait oublié l’âge de la porte
seule la photo avait des réminiscences
c’est avec l’épingle à cheveux que la jeune femme avait incisé le cœur du marié
*
L’ombre laineuse des nuages réchauffe les noyés
la vieille dame entre deux vagues retrousse sa jupe pour laisser passer un banc de poissons
la jeune fille dans sa chaise se mariera dans l’année avec son étoile de mer au front
Si vigilante que soit la mer elle ne peut être partout
caresser les poissons-chats dans le sens des nageoires occupe ses mains
les noyés aux bouches ensablées n’ont pas frappé à sa porte
n’ont pas décliné leur nom
ni celui de leur navire
redevenu branche morte
*
Les marins sans navire ont d’étranges hallucinations quand la mer fait son ménage saisonnier
les algues qui gesticulent bras nus sont les fiancées défuntes
les escarpolettes tendues entre deux pôles sont chargées de mouettes et de rires d’enfants
la détresse des mousses est infinie quand ils pensent aux genoux écorchés des fillettes
leurs pleurs trouent les vagues
et les squales qui s’inclinent devant elles dans les chapelles sous-marines ne leur veulent pas de bien
sous leurs vestes serrées ils cachent des nageoires inamicales
et les marins qui le savent oublient d’éteindre leur lanterne
les marins sans navire raccommodent le fixe au mouvant
l’opaque au transparent
l’horizon aurait tendu sa corde entre deux pommiers sans leur intervention
l’eau noire est leur cinquième élément
la mauvaise sueur de la terre
le sang frelaté des houillères
la conscience des équinoxes
leur domicile fixe quand les continents cassent leur vaisselle
*
Deux lunes
comme deux femmes d’un même village firent halte sur notre vestibule
elles connaissaient notre miroir de réputation
sa manière de basculer en arrière pour contenir le cosmos leur convenait
nous devions lire leurs intentions dans les cailloux qu’elles alignèrent sur le carrelage de la cuisine
deviner leur engouement pour nous qui marchions le regard au sol
alors que nos voisins les harcelaient de leurs vœux
Elles étaient deux comme les sourcils d’un même visage
deux lunes chiennes de garde des mariés qui frappent nos murs comme pour les déstabiliser
et font saigner notre mère et le grenadier