Il était d’un pays minuscule
Dont il faisait percevoir
La grandeur
Les paradoxes les déchirements
Et le charme incompréhensible
De l’écriture il explorait
Tous les registres
Plutôt que journaliste
Homme de lettres
De part en part l’arpentant
Ce monde des lettres
Interrogeant ceux qui l’habitaient
Avec attention et générosité
Animant une académie
Pour leur décerner les lauriers
De son minuscule pays
Il parlait avec humour et profondeur
De la parole il avait l’art la virtuosité
Mais peut-être préférait-il encore
Écouter
Laisser parler les autres
De ce qui les animait
Les amener à parler
De ce qu’au plus profond
Ils croyaient
Il parlait le flamand
Non moins que le français
Mais sa langue préférée
C’était peut-être l’allemand
Plus que les langues encore
S’efforçant de traduire
Les pensées les êtres
Qui par elles tentent de se dire
Il n’aimait pas ce qui tranche
Sans comprendre
Il aimait la nuance
L’intelligence devenue sensible
Qui a mûri de ne pas seulement comprendre
Qui tente de se dire sur fond de silence
Il cherchait la voie juste
Mais pas celle des tièdes
Des demi-mesures des compromissions
Non plutôt la justesse
Qui a concilié les extrêmes
Qui a dépassé les contraires
Il avait le goût du monde et de l’intime
Il allait au théâtre et au temple
Il aimait ce qui brille et ce qui ne peut se voir
Il voulait allier l’humanisme et ce qui le dépasse
Ce que jadis on appelait
La raison et la foi
Il refusait de choisir
Entre catholiques et athées
Et avait rejoint les protestants
Ceux d’entre eux qui protestent encore
Et refusent d’affirmer
On ne le connaissait pas
Et tout à coup il vous livrait
Ce qui paraissait le fond de son âme
Et quand il s’en allait
On avait l’impression
De moins le connaître encore
« À quoi crois-tu Jacques ? »
« Aux épiphanies »
Avec lui est-ce donc
Un monde
Qui meurt
Et cette justesse
Cette tonalité qui refuse de choisir
Entre majeur et mineur ?
« Et après tout Jacques
Qui es-tu ? »
L’écho seul me répond
Qui es-tu
C’est lui encore qui me renvoie la question
Ainsi qu’à ceux les si nombreux
Qu’il a lus et interrogés
Ceux qu’il ne cessera plus
De mettre à la question
Afin que perdure
À travers eux
Ce pays minuscule
Ce monde des lettres
Cette académie
Et surtout cet alliage
À reprendre sans cesse
Entre l’intelligence et la générosité
La parole et l’écoute
Entre ce qu’on peut comprendre et ce qu’on ne saura jamais.