Nous venons de bien loin, de cette
lignée promise au féminin pluriel.
Primitives, nous avons puisé l’eau
d’une terre noire, modelée par toutes
les marées. La pierre nous fut donnée
en milliers de galets, et le feu ne
connaissait que nous. Seul le vent
était objet de partage.
Volcaniques, nous avons éteint plus
d’un brasier à la force des mains.
Plié bagage devant l’éclair, envoyé
paître monts et merveilles. Jusqu’à
l’autre Amazonie, celle de nos filles
nourries au lait fumant, quelque part
entre forêt si vierge et ravin au long cours.
Nous avons filé sur nos chevaux bâfreurs,
traversé des pages guerrières. Comment
gagner l’espace sans tuer âme qui vive ?
Comment prendre d’assaut toute plaine,
sans écraser ses silhouettes ? Nous l’avons
accompli, ce raid imparable, mesurant au
passage l’ampleur des horizons. Pour les
femmes à venir.
Il y a dans nos vies des heures de cent ans.
Des fièvres salutaires, des nœuds aux
fibres rebelles. Nous les avons saisis,
gardés, relâchés, les léguant à d’autres
fugueuses. Aujourd’hui ils nous cernent
comme autant d’alliés. Chargés de voix
maudites, d’impétueux visages. À nous
de les intégrer à nos sphères, à nos planètes
blanches et vaines.
Nous deux, nous toutes, librement mises
au monde. Sans lois ni peurs, complices
de la marche en avant qui nous happe.
Nos franges, nos bras précèdent la
cavalcade tapageuse. Il fait gris souris
sur nos terres. L’ennemi viendra, chargé
d’histoire.
Plus secrète, notre digue intérieure. Plus
robuste que la dune empierrée, le
rempart. On croit dompter l’intime
tempête. On sait déjà qu’elle ruera
jusqu’aux enfers, jusqu’au fracas final.
Rideau rouge, tableau noir. Vient le temps
des patiences.
Temps calcaire de la halte. Nous voilà
souterraines, livrées aux os et aux
semences. Tu apprivoises la taupe en
sa vibrante cécité. Je tends mon arc
pour épingler quelques statues voraces.
Nous tenons à distance celles qui
plongent sans appel. Et se targuent
déjà d’aller plus loin que nous.
Va, mon héritière. Nous avons aiguisé
tant de dagues, lancé des volées de
curare, de vitriol et de venin, d’une
évasion à l’autre. Ainsi se fondit un
vaccin performant, auxiliaire de nos
jetées festives. Et de ce serment veuf
qui nous abreuve encore.