L’ÉTÉ DE LA CANICULE
(dernier chant d’Hokusaï)
Atteint déjà par la chaleur,
je tais tout ce qui brille en moi
sans pour autant prononcer
un discours sur les ombres.
Je trace un cercle de patience
autour des mots qui m’ont trahi
amour et transcendance.
Je sais qu’il faut s’élever,
disais-je pareil au nuage,
mais je ne trouve plus mon ciel.
Si la nuit en moi patiente,
le jour viendra me saisir.
Est-ce un soleil qui m’invente
ou faut-il vraiment mourir ?
L’ÉTÉ DE LA SOLITUDE
(nature morte à l’abricot)
Ce fruit parle sur la table.
Avec sa couleur fauve,
signe d’un léger pourrissement,
il me parle.
À défaut d’être prononcée,
sa phrase s’étend sur la nappe
au milieu des lettres du jour,
des papiers entachés d’adieux
pour ceux qui les parcourent.
Midi tombe dans ma main.
Aucune aile ne l’effleure.
Aujourd’hui le ciel gris
a repris ses oiseaux.
Et je demeure seul
pareil à l’abricot
qui parle sur la table.
L’ÉTÉ DE L’UTOPIE
(écrit sur une natte)
La nuit entre les hommes
continue à s’étendre
et moi, assis dehors,
guettant le moindre signe,
je cherche le poème visible.
Un livre de Li Po sur les genoux,
j’écris comme on noue un pinceau.
Peu à peu, je m’endors
jusqu’à asseoir mon cœur.
Dans mon sommeil encore,
je cherche le poème visible.
L’ÉTÉ DE LA RUPTURE
(carte postale)
Avons-nous pensé la nuit
au point qu’elle se défasse,
mon amour ?
L’avons-nous déposée
dans la main du voyageur
ou dans le pas du fou ?
Ce matin, tu dessines
un ciel sur la porte
avant de partir.
Pourquoi mets-tu encore
des verrous aux nuages ?
L’ÉTÉ DE L’ILLUSION
(élégie)
L’été, nous retournons la terre avec l’espoir
d’y découvrir enfouie une ancienne neige.
Nous mimons déjà le geste cocasse
d’en faire une boule, de la lancer.
Bien sûr, de l’argile, nos mains reviennent seules.
Le soir, les doigts gourds, nous revenons
dans nos appartements
avec un sentiment de fatigue accomplie.
Demain,
nous ne pourrons prétendre avoir touché
la neige, mais la conscience de l’échec
n’empêche pas notre sommeil.
Pareils aux chercheurs d’or qui hument
sur leurs paumes la pauvre odeur du cuivre,
nous rêvons d’un miracle devant ce ciel trop bleu
d’où aucune question plus cruciale ne tombe.