1968 : tout se bouscule dans ma tête, et c’est comme si je revoyais en même temps une bonne douzaine de films dont les images, les plans, les séquences, les acteurs, les actrices, les dialogues et les musiques n’arrêtaient pas de se mélanger.

Je revois Jean-Claude Killy et Martin Luther King. Ils sont ensemble quelque part. Sur les pentes glacées d’une montagne, du côté de Grenoble, ou sur une place publique, lors d’un meeting à Memphis, Tennessee ?

Soudain, une balle siffle et celui qui s’écrase sur le sol est Bob Beamon. Lire la suite



Longtemps j’ai assailli de questions mon grand-père Marcellin. Savoir que ce vieillard avait été un héros de la Grande Guerre, comme en attestait un diplôme décoré de lions vainqueurs et de pièces d’artillerie pointées vers un ciel d’orage, piquait ma curiosité. Le certificat était accroché dans « la pièce de devant », celle où, dans les maisons ouvrières, personne n’allait jamais hormis aux grandes occasions que sont les funérailles et les naissances.

Enfant, j’aimais m’y réfugier. Ma rêverie se nourrissait de la pénombre pailletée de poussières, de l’odeur acidulée de la cire et du vacarme intermittent des rares voitures qui faisaient trembler les vitres à leur passage. Je m’asseyais au piano, essayant d’imaginer les musiques qui y naissaient sous les doigts de maman lorsqu’elle était petite fille et se trouvait à l’endroit où je me tenais. Mais les lions m’intriguaient alors davantage que de connaître les circonstances de la mort d’une jeune femme dont je ne gardais alors aucun souvenir ni aucune image. Lire la suite


J’ai « fait » six Tours de France. Très précisément ceux millésimés de 1960 à 1965, c’est-à-dire un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître. Ou si peu.

Lors de « mes » Tours de France tout le monde pédalait et à la fin c’était Anquetil qui gagnait. En tout cas, dans cette séquence, il en gagna quatre sur six. C’était un peu monotone, j’en conviens.

Heureusement il y avait Poulidor. Lire la suite


Pour la seconde fois en un demi-siècle, les œufs de Pâques, en sucre et en chocolat, ont fondu dans l’herbe. Les mains enfantines les palpent, dans la rosée du matin, comme les pneus plats d’une bécane.

Il fait très chaud en ce tout début de printemps. Une faible brise fait osciller les tiges de graminées recouvertes d’un fin duvet blanc. Ces plantes te rappellent les semaines de vacances passées, chaque saison, à Mélin, avec François ton frère jumeau, dans la grande ferme des Fortemps bordant la place du village garnie d’un canon, vestige de la guerre de 14-18, sous un monument dédié aux Morts pour la Patrie. Ce canon a vu défiler une ribambelle de pelotons de petites reines lors des courses dominicales. Mais c’étaient les princesses aux nattes dorées et aux fines gambettes qui attiraient avant tout nos regards. Lire la suite


29 juin 1976 : J’ignorais que des otages étaient retenus dans un avion israélien sur l’aéroport d’Entebbe par des fedayin palestiniens.

29 juin 1976 : J’ignorais que la Commission européenne avait décidé de subventionner les agriculteurs touchés par une sécheresse exceptionnelle.

29 juin 1976 : J’ignorais qu’Eddy Merckx n’avait plus qu’une courte fin de carrière devant lui.

29 juin 2011 : Je sais que deux journalistes français sont retenus en Afghanistan par des talibans. Lire la suite


En 1949, j’avais près de neuf ans alors, mes parents et mes frères habitions une assez vaste maison sise à Wavre, au chemin des Flamands, devenu, allez savoir pourquoi, chaussée des Gaulois, une voie au revêtement encore fort rudimentaire. Cette année-là, qui vit la victoire de Fausto Coppi, le Tour de France traversa la petite ville du Brabant wallon, où il remonta la chaussée de Bruxelles. J’allai le voir passer à hauteur du passage à niveau sur la ligne Louvain-Charleroi (elle passait à l’arrière de notre jardin, et je ne me lassais jamais du spectacle des trains, en ces temps de locomotion à vapeur). Dans la caravane se trouvait une fourgonnette surmontée de haut-parleurs diffusant une chanson de Line Renaud fort à la mode cet été-là : Ma cabane au Canada. L’on disait dans le public que la chanteuse était présente dans le véhicule. Je ne l’ai pas vue mais j’ai cru la rumeur, toutefois pas jusqu’au point d’imaginer qu’elle remettait elle-même la chanson, en continu, tout au long du parcours de l’étape. Lire la suite


Oui Monsieur, bien sûr, enfance et Tour de France, nostalgie quand tu nous tiens, Bahamontes l’Aigle de Tolède, Bobet, Robic et compagnie, vas-y petit, appuie sur les pédales et baisse la tête t’auras l’air d’un coureur, mais oui monsieur, je sais l’interminable traversée des Landes, l’ascension du Tourmalet, les brûlures du soleil sur la peau, les chutes dans les descentes, du sang de la sueur et des larmes, oui Monsieur, je sais tout cela, et j’ai en tête des guirlandes de souvenirs que je tais par manque de temps pour les énumérer. Lire la suite


Les bicyclettes ou les vélos ont évolué depuis leur enfance : plus légers, plus rapides, changements de vitesse et dérailleurs s’accordent à l’effort. Des cadres profilés, des secrets de fabrication quant au métal, de la selle au guidon, de la roue aux pédales, chaque élément est objet d’attention, de mise au point. Tout est sur mesure pour affronter le terrain et l’adversaire, pour gagner en force et en souplesse une épreuve. Bientôt le grand périple en France et déjà celui d’Italie, la chaleur saisit les tendons et les muscles. Les paysages défilent, les étapes se succèdent.

Au matin, le journal attend son lecteur. En première page, deux titres frappent. Une interrogation : « Libérable pour bonne conduite ? » et une affirmation : « Cyclisme. Weylandt se tue au Giro ». Lire la suite