Ferdinand rangea la 403 entre deux 4×4 dont les pare-buffles reflétaient une image tubulaire de la place du Grand-Sablon. Ferdinand forma le vœu que les chasseurs de fauves qui envahissaient le centre historique de Bruxelles dans de tels équipages auraient assez de dextérité pour ne pas arracher la tôle rouillée du capot de la Peugeot. Ferdinand se rassura : le lion emblématique de la marque, babines retroussées sur des mâchoires féroces, veillerait au grain. Puis, il marmonna : « Bah ! Ceci a-t-il vraiment de l’importance aujourd’hui ? »

Aujourd’hui, mercredi 8 mai 2019. Fête de l’Iris, Fête de Bruxelles, l’ancienne capitale de l’Europe dont on célébrait naguère la « Saint-Schuman », le lendemain,
9 mai. Ferdinand se souvient des premières célébrations commémorant la signature, en 1957, du Traité de Rome, celui qui a donné naissance à l’UE, initiales aussi bien de l’Union que de l’Utopie européenne. C’était au siècle passé. C’était au millénaire passé. Et cela avait l’air si vieux, si rouillé, autant que la Peugeot, sortie la même année des chaînes de montage. Lire la suite


À la suite de l’annonce de la fermeture de l’espace aérien européen pour une durée indéterminée, les choses se précipitèrent. Je n’avais qu’à peine suivi le cours des événements, légèrement agacé du bruit qu’on en faisait, et finalement très peu concerné — j’avais depuis toujours une peur pathologique des avions, à bord desquels je m’étais juré de ne jamais remettre les pieds. Depuis longtemps, j’avais adapté ma manière de voyager, choisissant la voie terrestre et restant dans les limites accessibles du continent européen, en évitant ainsi les formalités agaçantes des douanes d’aéroport, les contraintes des limitations de bagages, les dépenses inutilement élevées engendrées par les heures d’attente dans les boutiques duty free, la promiscuité dérangeante imposée par les habitacles de ces engins honnis. Schengen avait levé les obstacles et les axes routiers n’étaient pas mal entretenus ; je filais donc librement d’un pays à l’autre, à bord d’un vieux bolide cacochyme qui en avait vu plus d’une, en écoutant à plein régime les tubes des radios locales. Et je multipliais les chances de rencontres épicées, au hasard des restoroutes et des pensions où je m’arrêtais. Lire la suite


Ça doit faire une dizaine de jours.

Ça sent le soufre.

C’est le bordel.

Dans les couloirs du Berlaymont, tout le monde tire une gueule jusque par terre. Même la petite Anna, d’ordinaire si guillerette, a la voix cassée, le visage déconfit, et le regard fuyant. Moi, je ne peux pas m’empêcher de donner des signes d’impatience et d’exaltation. Ils sentent qu’un truc pas net est en train de se mettre en place dans leur dos. Tout le monde me dévisage, me déconsidère, me hait déjà. Lire la suite


Par un long crépuscule d’été, quand le rose du ciel se fane, Europe, affriolante princesse phénicienne, danse avec ses amies au bord de la mer, sur le sable fauve de la plage de Tyr.

Ces adorables mortelles tiennent à bout de bras des guirlandes de fleurs qu’elles font serpenter, de gauche à droite et de bas en haut.

Europe s’immobilise soudain, brisant net l’évolution de la farandole.

Elle aperçoit un superbe taureau à la robe couleur de neige, aux muscles du cou saillants, aux cornes dorées en forme de croissant de lune. Lire la suite


Pour être dans le coup

Écris un haïku (prononcez haïkou)

L’Europe est à tes g’noux

C’est que j’en ai vu des volcans ! D’abord dans le Petit Prince quand j’étions petit, ça ne fait pas un siècle mais presque… quand même. De mémoire, jamais je ne vis un volcan aussi déchaîné que celui-ci, tout d’abord, il avait un nom imprononçable… c’est un signe… J’ai vu le Fuji Yama en Japonie, il était si tranquille qu’on se disait qu’on pouvait l’apprivoiser, le caresser avec prudence car on nous avait dit à l’école que les volcans, ça pouvait cracher comme les lamas à tout moment mais le Fuji Jama n’avait aucune velléité, il ne crachait pas ses poumons de feu et d’acier. Mais ce volcan terriblement islandais dont vous avez, je crois, entendu parler, à moins que vous ne soyez totalement sourds, ce volcan se la pétait grave, il crachait ses poumons de feu à longueur de jour et de nuit, il crachait et il était ravi, il faut savoir que si les crachats du volcan rentrent dans les tuyères des avions à réaction, ils peuvent provoquer l’extinction de la motorisation : l’arrêt des moteurs en quelque sorte, l’avion plane encore… pas de panique mais ça ne peut pas continuer durer… Avez-vous déjà entendu parler du volcan BHV : c’est un volcan qui crache et vocifère, un volcan sorti de chez nous, de notre terre, notre « terra nostra », il a jailli comme un geyser, il a poussé dans ce plat pays qui est le vôtre et le mien, si vous le voulez bien. Ceux qui se sont autoproclamés BHV ont un caractère volcanique… Ils veulent tout et surtout tout de suite, dans BHV, il y a « hache », ils insultent à la porte de l’ancienne Belgique. Il en est un appelé « démineur » qui devait être un facilitateur, il avait des réserves et pouvait tenir encore mais exténué et tenaillé par la peur, il passa la main au premier ministre pour qu’il fasse élégamment un dernier tour de piste. Et là j’arrive au terme de ce petit billet, si la Belgique ferme que va-t-il se passer ?… Qui va prendre le relais ? Les grands magasins Carrefour peut-être ? À suivre… Lire la suite


Ceux parmi les sacerdotes qui veillaient aux étages du Berlaymont virent un équipage privé de phares et de rétroviseurs auquel manquaient les freins filer sur la rue de la Loi grillant tous les feux rouges dans le fracas des chars débouchant des voies latérales auxquels s’adressaient les coups de sifflet d’une police attentive à verbaliser les piétons s’aventurant sur les passages cloutés dans un nuage de plumes soulevé par le bolide après sa traversée d’un groupe de pigeons égarés sur le bitume dans leur course entre le parc Royal et celui du Cinquantenaire dont se dressaient au loin les arcades surmontées d’un attelage de bronze hennissant de panique face au cyclone métallique dépourvu de toute visibilité par la grâce de ses vitres blindées parfaitement opaques empêchant qui tenait le volant d’apercevoir à hauteur du rond-point Schuman une jeune femme que les sacerdotes aux étages eussent dite bien de son temps — nombril à l’air orné d’un piercing au milieu des tatouages, appareillages électroniques autour de la tête et téléphone portable tenu d’une main contre l’oreille, l’autre main conduisant une poussette pour enfant — si ne l’avait coiffée un casque à l’antique et si n’eût été parée son épaule d’une égide à la mode hellénique — bouclier protecteur bien nécessaire au moment du choc. Lire la suite


Patrie toujours expirante

Belgique, royaume humain.

Paul Neuhuys, la Fontaine de jouvence

La scène se déroule pendant les saints de glace à Bruxelles, capitale des Provinces belgiques, dans un salon du Palais royal. Toute à sa rêverie, la princesse se tient à l’une des fenêtres de l’aile droite, en face du parc. Dans sa robe de brocart émeraude où flamboient la nacre et l’or, elle attend la visite du magister en caressant le museau d’Osbert, son animal de compagnie. Le petit rongeur se dresse sur les pattes arrière et, de ses longues moustaches soyeuses, vient chatouiller la main de la future reine. Une horloge sonne la demie. Dans le silence feutré, une porte grince en douceur. On gratte à celle du salon bleu. Entre un chambellan, velours jaune et noir. Lire la suite


À la mémoire inventive de Georges Perec

Ici, c’est un village au nom musical, Froyennes, riche en voyelles et qui ne s’achève pas, « prolongeant indéfiniment par l’affaiblissement continu de l’e muet son épanouissement plein de réserve », observerait Jean-Paul Sartre.

Ici c’est la part rurale — champs, moulin, fermes et église —, où j’aime vivre à l’ombre voisine du parc d’un château à la Moulinsart. Plus loin la zone industrielle et la banlieue verte — les Français aiment vivre au bord de leur frontière en bénéficiant de notre paix.

Non loin d’ici, un sentier de halage s’essouffle à suivre le cours de l’Escaut qui sinue entre peupliers vers son embouchure flamande, portant les péniches aux prénoms polyglottes ; on est de la rive gauche comme d’une religion. Lire la suite


… tant que l’on peut prendre un bain, cela vaut la peine de vivre. Un bain et une cigarette. Tout en fumant, la main à fleur d’eau, Laurette comparait le clapotement qui la berçait aux jours agités qu’elle avait connus, au tumulte de tant de paroles, à ses extravagances, aux projets qu’elle avait toujours réalisés et qui, pourtant, ce soir, se réduisaient à cette baignoire et à cette tiédeur.

Avait-elle été ambitieuse ? Elle revit les visages des ambitieux : des visages pâles, marqués, crispés, y en avait-il un seul d’entre eux qui ait connu la détente d’une heure de paix ?

Même au moment de mourir, cette passion ne se ralentit pas. Il lui semblait que pas un instant elle ne s’était relâchée. Peut-être, il y a vingt ans, quand elle était encore gosse, qu’elle attendait, le cœur battant, la saison des confettis, des baraques et des masques, alors peut-être elle avait pu se laisser aller… Lire la suite