L’évidence est là, aveuglante. Le constat d’échec d’une civilisation, ou qui se prétend telle, qui avait cru mettre dans le mille, ou plutôt les milliards, en misant tout sur l’économie, très mal nommée au demeurant, puisqu’il s’agit plutôt de la prodigalité.

Prodigalité des ressources, des valorisations, des exploitations, des aliénations. Tout ramené au niveau du produit, du niveau zéro du matérialisme. La lutte contre le matérialisme dialectique, l’illusion d’y avoir mis fin, a produit un enfoncement plus abyssal encore dans le matériel, même humain, une immersion absolue dans l’illusion de la rentabilité. Lire la suite


Les femmes et les enfants d’abord : expression plus ancienne encore que le
« save our souls » banalisé dans le SOS devenu polyglotte (comme pas mal d’acronymes auxquels les non-usagers de l’anglais n’entendent goutte), elle sous-entend un pari sur l’avenir de l’espèce.

Laissons-lui la chance de se prolonger, en permettant aux petits d’accéder à l’âge adulte, et aux femmes d’en engendrer d’autres encore. Ce syntagme figé en dit plus long sur une civilisation qu’une déclaration solennelle : il mise sur un principe que l’on qualifiera d’humaniste. L’espèce humaine est en effet la seule à pouvoir légiférer sur sa survie. Si ce n’était pas le cas, si les quadrupèdes susceptibles de nous alimenter avaient les moyens de réguler de la sorte leur sauve-qui-peut, ils l’auraient déjà fait. Lire la suite


Dans ce grand guignol qu’est devenue, sous l’effet simplificateur des médias, la politique à quelque niveau que ce soit, le face-à-face entre Barack et Vladimir a atteint des niveaux inégalés de schématisme et d’obscurantisme. La preuve se déduit d’abord de leurs profils respectifs. Tous deux dignes de sortir d’une série B, basiques au possible, réductibles à quelques traits immédiatement discernables. Cette réduction empêche plus que jamais de voir dans leur affrontement autre chose qu’un combat des chefs, une espèce de confrontation de fin de western des deux protagonistes se défiant dans la grand-rue du bourg, à la hauteur du saloon.

On avait déjà eu droit, il y a treize ans, au « montre-toi si tu oses » adressé par le fils Bush à Ben Laden, lequel, manque de chance, brillait par son absence, ce qui permit plus tard à Barack de le ranger au magasin des accessoires. Ici, par contre, le grand adversaire est tout ce qu’il y a de plus présent, d’autant plus qu’il a adopté les codes de représentation de son opposant. La cérémonie d’ouverture de ses Jeux olympiques d’hiver semblait, souvenons-nous, sortir tout droit des studios Disney de la grande époque. Vlad le terrible avait manifestement la ferme intention de plaire. Il avait d’ailleurs annoncé la couleur en délivrant de ses geôles l’oligarque le plus rétif à ses plans, et les trois grâces qui s’étaient moquées de lui au pied d’un autel orthodoxe. Lire la suite


Elle a longtemps passé pour la « grande », avant que l’Histoire ne s’ingénie à faire mieux encore, c’est-à-dire bien pire. Elle est la première à avoir été qualifiée de « mondiale », et là encore elle a bientôt été surpassée dans le genre, par un conflit mobilisant la planète au grand complet. Depuis lors, pour de multiples raisons, il semble que l’on se soit gardé de poursuivre l’escalade, du moins dans les adjectifs.

Pour la raison toute simple, et apocalyptique, que l’on aurait dû impliquer le cosmos, ce qui fut suggéré par le fantasme de la guerre des étoiles. Star Wars, cette épopée hollywoodienne dont il faudra admettre un jour qu’elle n’est pas qu’un divertissement aussi basique que fantaisiste, mais une habile préparation des esprits. Aux antipodes de la dénonciation de l’horreur belliqueuse qu’illustre génialement Guernica, cette saga pour pré-ados a inauguré l’ère de la militarisation robotique et spatiale qui, de fictionnelle, est devenue des plus réelles. Lire la suite


C’est entendu, la planète rétrécit. À vue d’œil, d’ailleurs, il suffit de s’imaginer scrutant depuis un engin spatial notre terre bleue comme une orange. On en fait le tour en un temps devenu dérisoire. Minable exploit que celui de Philéas Fogg qui mit quatre-vingt jours à en accomplir la circonvolution ! Mais comment se répercute ce phénomène sur le terrain ? Certainement pas dans la sérénité ; dans le bruit et la fureur plutôt, quoique notre époque ait acquis, sans trop le proclamer, un nouveau langage de la violence. Lexicalement, le mot « guerre » en est le plus souvent banni, ou réduit à son emploi métaphorique, même si les faits justifieraient amplement son usage.

Il n’empêche. Nous nous connaissons mieux, différemment de jadis, en tout cas. L’exotisme n’est plus de mise. Une banalisation se généralise, le nivellement commercial y a veillé. Des produits se sont mondialisés, et ce sont souvent les plus sophistiqués. Des voisinages, dès lors, déroutent : une tablette consultée sur un marché de Ouagadougou, une conversation satellitaire d’une rive du fleuve Jaune à une cité haut-perchée du Pérou. Ces chocs insolites n’étonnent plus, deviennent notre ordinaire. Lire la suite


La France est une caisse de résonance. Elle n’a pas toujours eu elle-même toutes les idées dont elle s’enorgueillit, mais elle s’entend surtout à leur conférer le maximum d’impact. Les exemples abondent, à commencer par la fameuse Révolution dont elle ne cesse de se glorifier, et qui a suivi d’un siècle la démocratisation qui s’est produite en Angleterre, sans régicide ni trop d’effusion de sang.

En mai 1968, elle s’est inscrite dans le sillage des troubles qui ont secoué les campus américains, mais a tiré toute la couverture à elle par son irremplaçable sens de la dramatisation. Et voilà que le même processus se vérifie, à propos d’une réforme de la législation portant sur le pacte marital et sur l’adoption, au point de donner lieu à des affrontements aussi violents qu’imprévisibles, puisque dans les pays qui, une fois de plus, ont précédé la France dans ces réformes, il ne se produisit rien de comparable. En Belgique, par exemple, de dix ans pionnière en la matière, on ne constata pas ces débordements dont les villes de France ont été le théâtre. Lire la suite


Il serait, paraît-il, actuellement envisageable que l’État grec cède l’exploitation du Parthénon à un consortium touristique. Dans le même temps, Hong Kong est en train d’édifier sur une de ses presqu’îles le plus grand centre culturel du monde. Ce ne sera pas un Luna Park de plus. Ce sera un lieu de mémoire du vaste patrimoine chinois situé dans l’ensemble de l’héritage mondial.

Seulement une nouvelle manière de distribuer les cartes. De mettre l’Occident devant une révision des priorités civilisationnelles, par des moyens évidemment avant tout économiques. Les lendemains, on le voit, ne déchantent pas partout. Et ce qui se prépare sur cette rive du Pacifique ne se produit pas, comme on le pensait encore naguère, au bout du monde… Lire la suite


De deux choses l’une (et beaucoup d’autres entre les deux) : ou le glas est en train d’être sonné de l’Ancien Monde – États-Unis compris, qui ont réussi à vieillir prématurément –, ou l’on est simplement dans un virage particulièrement dangereux, qu’il est nécessaire de négocier pour éviter le désastre.

Dans un cas, il vaut mieux se sauver au plus vite, et chercher des cieux plus cléments ; c’est d’ailleurs ce que beaucoup de jeunes s’empressent de faire, qui apprennent le chinois ou le japonais à marche forcée. Dans l’autre, il faut procéder à la révision critique et sévère de ce qui nous a menés où nous sommes, c’est-à-dire dans ce qui ne pourrait être qu’une crise. Lire la suite


« C’est grave, docteur ? », interroge le patient avec une impatience qui trahit son angoisse. Il pose une question de degré. Il sait qu’il souffre, la douleur qu’il éprouve en témoigne, mais il ne connaît pas le sens de son épreuve. Et délègue à un autre le pouvoir de lui dire ce qu’il ressent vraiment, puisqu’il est supposé ignare en la matière, ou s’est laissé convaincre de l’être. Or, sa souffrance lui est proche, interne, et jusqu’à un certain point incommunicable. Une partie de ce corps qui est sien ne répond plus à ses attentes, dont il n’avait d’ailleurs pas conscience, tant il faisait confiance à cette mécanique qui ne l’avait jamais déçu.  Lire la suite


Ils n’ont en tant que personnes rien à voir l’un avec l’autre. L’un s’est manifesté par un libelle, quelques pages comparables à celles qui, sous l’ancien régime, ont contribué à mettre le feu aux poudres. Édité dans une officine confidentielle, son Indignez-vous ! a connu une incroyable diffusion, à laquelle aucune règle du marketing n’a présidé.

La circulation de cet appel au non-alignement sur les normes du temps n’a été fomentée par aucune agence de relations publiques, confiée à la moindre entreprise de promotion. Elle s’est trouvée, par une transmission qui relève des signaux de fumée, susceptible de répondre à une attente diffuse, à un désir contenu qui ne demandait qu’une juste formulation pour se manifester.

L’autre est responsable d’une vaste opération de ce qui pourrait être l’abolition de l’ère Gutenberg. L’imprimerie, rendue possible par des techniques venant de l’Orient, a mis de nombreuses années à s’imposer. Mais cette lente imprégnation a été profonde, au point que l’on peut dire que le Codex a été le principal mode de communication durant un demi-millénaire. À cette domination, Steve Jobs a mis, en quelques années à peine, un terme qui pourrait bien être inéluctable. Lire la suite