Maria ne va jamais à la mer. Pourtant c’est pas loin. Dix minutes de bagnole à tout casser. Mais ici les gens se déplacent à vélo. Des gros machins noirs, lourds, encombrants, mais fiables je dis pas. C’est pas comme nous, les Bruxellois en vacances. On quitte rarement les bagnoles. Même pour aller chercher le pain à Bulskamp. Tout juste si on utilise nos pieds pour se balader parfois le long du canal. C’est ce qu’ils doivent dire de nous, les Flamands du Zwaantje. Pour autant qu’ils parlent, parce que dans le genre taiseux on fait pas mieux. Le Zwaantje c’est le canal, en forme de cou de cygne, noir et plein d’anguilles, c’est là, dans la ferme en face, que Maria est née. C’est là aussi que mon père loue une maison de pêcheurs où je m’ennuie chaque été. Maria, je la vois le matin quand je vais chercher le lait à la ferme. Elle me le verse tout tiède dans un bidon de fer, on dirait une bouillotte, je le serre contre moi et elle empoche l’argent, tout ça sans un mot. Elle doit avoir à peu près mon âge, quelque chose comme dix-sept ans. J’ai bien essayé de lui dire deux mots au début. Rien à faire, j’ai l’impression de l’embêter, elle ne répond à rien. Pourtant elle comprend le français, comme tous ici, mais elle fait semblant qu’elle ne sait pas, pour que je la laisse tranquille je ne sais pas, elle est hyper timide. « Vous n’allez jamais à la mer, je lui dis, pourtant ce n’est pas loin. » Elle hausse les épaules. Limite impolie. Rien de mes copines. Pas vilaine pourtant. Blonde. Tiens, elle me rappelle une peinture, de Memling je crois. Un dimanche, à Bulskamp, je l’ai vue. Incroyable. Tout autre. Dans une procession. La Sainte Vierge, c’était elle. Avec la robe bleue et tout. Depuis l’église elle paradait, plus fière que ça, tu meurs, et autour d’elle, vous auriez vu, des troupeaux d’anges et des curés. Et puis ces gamins qui lui lançaient des pétales de rose. Dingue. Lire la suite →