« Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! » *
Malléabilité est-elle responsabilité ?
Au procès des Éléments
la question suscite un silence
qui dépasse les trois minutes
Trois minutes à l’échelle de la Nature
en dépit de ses brusques éclats
peuvent devenir trois mois
trois ans trois siècles
quelques ères où l’Élément
peu à peu se transforme en dieu
réellement
Le temps d’une prise de conscience
semblable à celle survenue
entre singe et homme
En l’occurrence à qui incombe
la responsabilité ?
À la terre tremblant sous la mer ?
Ou aux vagues marines poussées
comme sur champ de bataille ?
Mais, se défend la terre,
tout aussi malléable que l’eau je ne sais
quel mouvement m’a prise
Quand l’Homme bâille ou éternue
peut-il se retenir ?
De lui on dit : c’est la nature !
Qu’y pouvons si la nôtre est démesurée
Ce n’est pas des Hommes qu’on débat
Même si chez eux trop souvent l’expérience
se conjugue au présent
Si chez eux le passé apprend en théorie,
qu’en est-il en pratique ?
De plus ils ont assez souffert
C’est d’ailleurs pourquoi
les Éléments interrogent
leurs inconscientes forces
À ce stade du procès
les voici tentés par un nihilisme
Serait-ce une conscience
aussi extrême que leur puissance
qui les visiterait ?
Se pose alors une question surréaliste :
La Nature peut-elle résister à la Nature
sans se dénaturer ?
C’est qu’elle ne réalise pas encore
son dualisme
Un miroir prématuré
lui présenterait non pas une image
mais un appel d’image
Un vide immense déployé
où la Nature se replierait
involutive
jusqu’au noyau originel
En fuseraient sept mots d’apocalypse :
Qui sème les Éléments récolte les Cataclysmes !
Le procès deviendrait celui d’une Création
d’une Manifestation si catastrophique
qu’elle serait à refaire
Mais à ce néant la mer
« toujours recommencée » *
oppose une calme et constante
éternité
Et c’est encor la vie
qui la fait se défendre :
Mon ample bercement a sauvé
un bébé
échoué sur une planche
Les nourrissons s’apaisent
aux balancements doux ou forts
Sans mon rythme l’enfant se serait agité
Il aurait sombré
dans la poussée irrépressible
Poussée pareille à une maladie
une violente fièvre subie
dont le délire
malgré moi ravagea
sa maison
ses parents
sa famille
De ce mal plus fort que mon immunité
triomphait un enfant !
Quand l’existence rejoint le mythe
quand au sein même des catastrophes
survit et naît
une image qui réconforte,
alors s’écrit la première page
d’une évolutive légende
« Envolez-vous, pages tout éblouies ! » *
* Paul Valéry, « Le cimetière marin »